Le cinéma connaît aujourd’hui une mutation qui va bien au-delà des évolutions techniques. La réalité virtuelle et les expériences immersives 3D s’imposent désormais comme de nouveaux territoires narratifs. Pour celles et ceux qui souhaitent devenir réalisateur, comprendre ces formats est essentiel afin de penser autrement la mise en scène et le rapport au spectateur.
Quand le spectateur entre dans l'histoire
En septembre 2024, la Mostra de Venise a consacré une section entière aux œuvres en réalité virtuelle. Parmi les productions remarquées, Oto's Planet de Gwenael François propose une plongée sensorielle où le spectateur devient partie prenante de l'intrigue.
Ces œuvres illustrent un basculement : le spectateur ne contemple plus une histoire encadrée par les limites d'un écran. Il évolue au sein d'un espace narratif où son regard construit, instant après instant, son propre cadre.
Ce qui change concrètement dans ta pratique
Réaliser en VR, ce n'est pas transposer les codes du cinéma traditionnel dans un nouveau dispositif. C'est accepter que le montage classique n'existe plus : tu ne choisis plus ce que regarde le spectateur, tu composes un environnement où son attention doit être guidée autrement. À la fois par le son, la lumière, le mouvement, la présence des acteurs dans l'espace.
Le son devient cardinal. En audio spatialisé, chaque source sonore possède une position précise dans l'espace tridimensionnel. Un bruit derrière toi peut orienter ton regard, une voix lointaine créer une tension narrative. Des réalisateurs comme Alejandro González Iñárritu, avec Carne y Arena (présenté à Cannes en 2017), ont démontré comment l'immersion sonore peut porter une charge émotionnelle que l'image seule ne suffirait pas à créer.
La direction d'acteurs se repense également. Quand le spectateur peut tourner la tête à 360 degrés, tout l'espace devient potentiellement signifiant. Les acteurs doivent habiter cet espace de manière cohérente, même hors du champ de vision immédiat. Ces connaissances sont nécessaires pour devenir réalisateur.
Des studios qui tracent la voie
Atlas V, studio parisien fondé en 2008, a produit des œuvres comme Gloomy Eyes (2019), fable en stop-motion VR narré par Colin Farrell, qui a tourné dans plus de cinquante festivals internationaux. Leur approche mêle narration classique et interaction subtile, prouvant que ces formats peuvent toucher un public large sans sacrifier l'exigence artistique.
En France, le collectif Okio Studio développe des documentaires immersifs qui explorent des sujets sociaux en plaçant le spectateur au cœur de situations réelles captées en 360°.
Les compétences à développer
Tu veux devenir réalisateur et travailler dans ce domaine, tu dois acquérir :
- Une compréhension de la spatialisation narrative : organiser l'information dans un espace où le spectateur contrôle son regard. Cela demande de penser en architecte autant qu'en cinéaste.
- La maîtrise technique des caméras 360° et des dispositifs de capture volumétrique, qui enregistrent non plus une image plane mais un volume entier.
- Une sensibilité au design sonore spatial, où chaque élément audio possède une localisation précise et contribue à guider l'attention.
- L'écriture non linéaire : concevoir des récits qui fonctionnent quelle que soit la direction du regard, ou qui proposent plusieurs chemins narratifs selon les choix du spectateur.
Une reconnaissance institutionnelle croissante
Le Festival de Cannes a créé dès 2016 sa section Cannes XR, aujourd'hui coproduite avec la Mostra de Venise. En 2024, cette plateforme a présenté une trentaine de projets, mêlant fiction, documentaire et expériences hybrides.
Certaines œuvres immersives obtiennent désormais des financements comparables à ceux de courts métrages traditionnels, via le CNC en France ou Creative Europe au niveau continental.
Cette légitimation dans ce genre d'évènement d'envergure prouve que la réalité virtuelle n'est plus perçue comme un gadget, mais comme un moyen narratif à part entière, avec ses codes, ses auteurs, ses œuvres marquantes.
Une complémentarité dans le milieu du cinéma
La VR ne va pas remplacer le cinéma de salle. Elle offre une expérience différente, plus intime, parfois plus intense émotionnellement parce qu'elle engage le corps autant que le regard. Certains récits gagnent à être vécus plutôt que regardés. Un témoignage sur l'exil, une exploration d'un trauma, une rencontre avec un environnement inaccessible.
Si tu veux devenir réalisateur en embrassant toute l'étendue du métier telle qu'elle se dessine, ignorer ces formats immersifs reviendrait à passer à côté d'une part significative du cinéma contemporain. Les outils existent, les financements se structurent, les festivals accueillent ces œuvres. Il ne manque que des auteurs prêts à explorer ce territoire.